La Nature aime
à se voiler
2019 – 2021
La Nature aime à se voiler
Héraclite
L’ extrait d’Héraclite constitue le point de départ d’une recherche artistique qui explore une forme d’alliance entre le geste artistique et la Nature. En confondant le dessin, les herbiers et des empreintes végétales sur soie, ce travail tente de montrer que le but de l’art n’est pas tant d’imiter la Nature mais de travailler comme/avec elle. “L’art est lui-même la Nature” dit Shakespeare (Le Conte d’Hiver).
Il y a deux manières d’appréhender le monde.
La manière prométhéenne qui consiste à faire parler la Nature au service des hommes en la forçant par l’expérimentation à dévoiler ses secrets. Il s’agit d’une domination de la Nature par l’homme.
L’ autre attitude est désintéressée, elle observe la Nature en la respectant. Car si la Nature veut se voiler, c’est notamment parce que la découverte de ses secrets est un danger pour l’homme. En intervenant techniquement dans les processus naturels, l’homme risque de les troubler (Pierre Hadot – Le Voile D’Isis).
Ce travail a débuté dans le cadre d’une résidence proposée par le Fonds Rops à Thozée en 2019. Projet exposé en 2020 à la galerie de Peinture Fraîche et Odradek – Bruxelles en 2020.
Texte de Simone Schuiten présentant l’exposition « La Nature aime à se voiler » (Odradek 2020)
Olivier Pestiaux revient chez ODRADEK pour nous confier sa confrontation à l’énigmatique aphorisme d’Héraclite « La Nature aime à se voiler ».
Selon les présocratiques, la nature qu’ils appelaient phusis se comprend comme un processus vital qui favorise l’interaction entre les éléments. Le souffle qui la constitue permet le rythme incessant du « meurs et deviens », ainsi que la métamorphose de toutes choses. L’esthétique chinoise, elle aussi, adhère à cette participation au rythme cosmique qu’elle nomme le « Qi ».
Avant que la nature ne soit rationalisée par les sciences modernes et soumise à leurs dictats, elle était approchée avec prudence par toutes les précautions du mythe et de la poésie. Ceux-ci, via leur appareil symbolique, suivaient, tout en le voilant, le passage incessant allant du visible à invisible et inversement.
Dans cette optique, Olivier Pestiaux porte son regard et sa réflexion sur le monde végétal pour tenir compte d’un tout organique se suffisant à lui-même. Celui-ci s’épanouit sous notre regard et se développe en fonction d’un dynamisme spontané qui lui est propre. L’artiste se rend réceptif ou disponible à ce rythme cosmique, il porte d’une part son regard vers le ciel pour s’associer au mouvement des nuages et d’autre part l’abaisse pour se rapporter à l’univers des plantes.
En constituant d’abord un herbier, Olivier Pestiaux recueille fougères et roses pour, de leur substance, constituer des empreintes. Son but, explique t-il, est d’écrire avec la nature. Conscient que celle-ci trace, dessine, chante…, c’est-à-dire produit des œuvres orchestrées par un dynamisme cosmique, il s’y associe en ajoutant un nouveau voile.
Le geste artistique qui lui appartient s’ajoute à ce qu’il emprunte au végétal. Il met ainsi au point de nouvelles techniques d’impression qui superposent à la feuille séchée son empreinte. Il y ajoute du dessin et recouvre le tout d’un nouveau voile. L’artiste en obtient une œuvre en suspension car le voile dans sa légèreté ne se fixe pas, elle ouvre par ses plis de nouveaux chemins. Par ces voiles, Olivier Pestiaux couvre et recouvre un processus toujours en devenir, ce qui lui permet de se reconnecter avec le fond indifférencié de toute chose.
Olivier Pestiaux nous invite à partager sa réciprocité avec la vie des plantes. La réciprocité perpétuelle devient son fil conducteur, elle permet le développement de la transmissibilité. Ce qui revient à mieux comprendre l’adage d’Anaxagore « Tout est dans tout ». A la suite d’Anaxagore, il nous invite à penser l’interpénétration, l’ouverture au monde en sa mondanéité, c’est-à-dire en sa Nature indifférenciée.
Simone Schuiten